Q: Comment écrit-on un feuilleton ?
L'écriture radiophonique est spécifique : elle est très différente du théâtre, auquel elle pourrait s'apparenter, si ce n'est qu'à la radio, la représentation ne se fait pas sur scène. Elle se déroule dans l'imaginaire de l'auditeur. La scène, le lieu de représentation et même le temps appartiennent à l'auditeur. C'est un art qui s'adresse, non pas à un auditoire collectif, mais à l'individu. L'auteur s'adresse nécessairement à chaque auditeur à titre personnel. Dans ce sens, elle se rapproche de l'écriture romanesque : à ceci près qu'à la radio, l'organe privilégié, c'est l'oreille et non la vue. Tout doit donc être écrit en direction de l'écoute et de l'entendement. A la radio, tout doit être intelligible, directement.
Q. Y-a-t-il des règles d'écriture radiophonique ?
Oui. Il existe des auteurs qui se lancent au petit bonheur-la-chance et advienne que pourra. Cette technique peut réussir, dans une époque qui prévilégie, sans doute au nom de la liberté, toutes sortes de délires psychédéliques que l'on fait passer pour l'expression d'une recherche ou d'une découverte culturelle.
Pour ce qui me concerne, je crois absolument à l'intuition. Il est bon de se laisser guider par sa perception des choses. L'intuition est à mon sens autant respectable que la "technique" proprement dite. C'est en associant les deux que l'on obtient des résultats probants.
S'agissant de "technique " d'écriture, les grands auteurs classiques méritent le détour. Depuis Racine, on n'a pas fait mieux en matière de structuration et de construction dramatique. Je le considère comme un maître : sa méthode s'appuie sur le respect des lois archétypales. Bien qu'il ne s'en explique pas, il les met en œuvre dans chacune de ses pièces. Andromaque est un chef d'œuvre de construction systémique. Ces règles d'écriture ne sont pas de la simple rhétorique ou l'asservissement à des normes sociales : elles sont édifiées sur une fine connaissance des lois du réel. L'écriture racinienne suit les mouvements naturels de l'esprit, c'est une écriture charpentée sur une connaissance organique de la pensée. D'où son extrême élégance. Pour ceux qui veulent voir ce qu'est une "construction", jetez un coup d'oeil à la pièce "Jazabet". On y trouve une subtile mise en œuvre de ce que la kabbale appelle le "guézer", le décret.
Je pense qu'un auteur moderne peut s'inspirer de cette connaissance.
Ensuite, plus formellement, tout dépend si vous écrivez une œuvre entièrement originale, fruit de votre seule imagination, ou si vous concevez une adaptation issue d'une œuvre pré-existante.
1. Ecriture d'une pièce originale
Pour l'écriture d'une pièce originale, il faut tout d'abord laisser venir une idée. Car il est évident que les idées ne sont pas les nôtres, elles nous sont dictées par une voix. Quand on dit "j'ai eu une idée", c'est très clair : on reçoit l'idée. Mais qui est - il, ce dispensateur des idées ? L'auteur doit avant tout être un récepteur, il doit recevoir son oeuvre avant de l'écrire.
Ensuite, lorsqu'il a perçu ou ressenti l'œuvre encore en devenir, il faut qu'il se lance à l'aventure. L'œuvre se fait… en la faisant. Cependant, il est bon que l'auteur possède une "boîte à outils", si possible bien pourvue et qu'il maîtrise les techniques d'écriture et sache s'en servir. Ces techniques, j'ignore si elles sont enseignées dans les écoles. Mais je peux vous dire qu'il existe des règles de base. Et la première règle, c'est que le feuilleton radio s'adresse à l'Auditeur, à l'oreille. Le texte doit donc être conçu pour être écouté, entendu et immédiatement compris. L'écriture du feuilleton radio doit être directe, efficace. Pour être bien comprise, la parole doit être élaborée sur les lois de fonctionnement de l'esprit. L'esprit fonctionne d'une certaine manière, le vecteur de la parole vient habiter l'oreille de l'auditeur pour toucher sa sensibilité, son intelligence. Il faut donc une écriture qui s'adresse au coeur de l'auditeur. Il faut susciter son adhésion, son sentiment, l'appeler au partage et cela ne peut réussir que si l'auteur est en phase avec sa propre voix intérieure.
Je n'ai jamais de plan pré-établi. Je travaille en suivant les signes que la vie envoie à tout instant.
(Vous n'y croyez pas ? Alors tant pis. Vous avez votre opinion et je la respecte. Mais ici, ce n'est une histoire d'opinion. Il s'agit de réalité. Notre monde est sans aucun doute construit sur une grille, selon une carte… )
J'ai une grille de travail, une trame et des clés. La trame, c'est le réseau d'articulations des relations qu'entretiennent les personnages entre eux, et avec les auditeurs. Cette trame est d'essence systémique, non linéaire, non rationaliste, car dans la vie, rien n'est linéaire, rien n'est strictement rationaliste. Le rationalisme est une fiction inventée par des hommes sans imagination. La vie pense tout autrement.
Quant à la grille et les clés que j'utilise, je ne peux pas vous les expliquer ici. Cela prendrait des pages. Si vous voulez vraiment savoir de quoi je parle, alors je vous recommande ce livre : "La Face cachée du Cerveau", de Dominique Aubier. Un ouvrage de référence qui devrait servir de guide pour toute personne qui désire se lancer dans l'écriture de scénarios ! C'est un livre qui permet de bien comprendre les logiques vivantes et de voir clair… dans nos propres vies (qui sont des pièces de théâtres écrites sur notre dos !)
L'essentiel, pour un auteur, c'est qu'il comprenne qu'il n'est pas un inventeur de fiction, mais un lecteur du réel. Il transpose sa vision dans son théâtre imaginaire, il y associe son Public en lui permettant de le rejoindre par la sensibilité et la perception. Cette perception recrée ainsi le réel et le transforme. L'Auteur doit permettre à l'Auditeur de se transformer.
2. Ecriture d'une adaptation d'une oeuvre pré-existante
Si vous écrivez une adaptation d'une œuvre pré-existante, c'est pareil. Il faut que l'adaptateur s'empare du texte original, le fasse sien, et cela en tout respect de l'esprit de l'œuvre initiale. Cela veut dire que l'adaptateur, avant d'entrer dans le texte original qu'il va travailler, doit frapper à la porte et voir si la porte du texte original s'ouvre et accepte sa visite. Il faut l'accord de l'auteur initial, ou de sa succession. Et même s'il s'agit d'une œuvre appartenant au domaine public, l'adaptateur doit montrer patte blanche et interroger l'esprit de l'oeuvre. "Suis-je digne de faire l'adaptation ?" Telle est la première question qu'il doit se poser.
A un moment, si l'on est honnête, on reçoit la réponse. Entrer dans une œuvre, c'est comme entrer dans une maison. On essuie ses pieds. On respecte les lieux. On est discret. On écoute. On s'approche de l'hôte avec fraternité car on vient pour recevoir. C'est exactement ce que j'ai ressenti avec Alejo Carpentier, quand j'ai écrit l'adaptation de "Los Pasos Perdidos". Longtemps je me suis trompé dans la manière d'aborder l'œuvre, puis un jour, il m'a lui-même donné la clé en m'indiquant la bonne façon de procéder. Il me l'a donnée quand j'ai accepté de reconnaître que je ne parvenais pas à la trouver par mes propres moyens. La même chose s'est produite avec Jeanne d'Arc. J'ai vécu une véritable rencontre avec elle. C'était une adaptation très difficile a écrire. Il fallait que je me mette à sa portée. Et à un moment, c'est venu, elle a répondu.
J'ai senti sa chaleureuse présence, sa sympathie. Elle m'a aidé à la comprendre. Faire une adaptation, c'est vivre une rencontre. C'est aussi se transformer intérieurement. Après avoir écrit l'adaptation de "Jehanne la Délivrance", j'ai ressenti en moi une mutation. Je suis allé avec Jehanne dans la cellule, tous les jours, pendant des mois. Je l'ai accompagnée jusqu'aux derniers instants. J'ai même entendu sa voix, une voix intérieure, féminine qui me dirigeait. Quand on perçoit cette voix, alors on est sur le bon chemin. Quant à ceux qui vous traitent d'illuminé, dites-vous qu'ils ont raison ! Pour écrire, il est nécessaire d'être quelque peu illuminé. Ayez de la compassion pour ceux qui ne le sont pas.
Q: Combien gagne un auteur ?
R : Franchement, si c'est là votre seule préoccupation, alors il vaut mieux changer de métier. On ne devient pas auteur dans le but de gagner de l'argent. Dès qu'on place l'argent en priorité, on échoue. L'idée de réussite financière est totalement ringarde. Il n'y a plus que les vieux dinosaures qui croient encore en la puissance de l'argent. Même dans les affaires, pour réussir, il faut tout d'abord concevoir une démarche édifiante, pour soi, pour les autres. Il faut travailler avec des valeurs : de l'éthique, et si possible, de l'élégance. Si vous placez le rapport à l'argent en tête, vous allez droit dans le mur.
Ecrire, c'est un acte de culture. Créer une œuvre, c'est un projet édifiant pour l'être. Concevoir une création radiophonique, c'est considérer l'existence de l'autre : c'est miser sur la valeur de l'Auditeur. L'auteur gagne certes de l'argent par son travail, par les droits d'auteurs. C'est juste et normal. Mais croyez - moi, l'inspiration ne lui vient pas au prix de la ligne d'écriture.
Il en est de même pour le bon comédien. Ce n'est pas le montant de son cachet qui lui fait venir le talent.
Nous avons travaillé avec pas mal de bénévoles, dans "Magellan, le Premier Tour du Monde". Leur participation a été pour eux une expérience unique, ils ont eu le sentiment d'être réellement embarqués. Ils ont tenu leurs rôles avec rigueur et sérieux, et l'argent ne les aurait pas motivés. C'était une affaire de coeur. Voilà une valeur sûre.
Quand on travaille sur un projet culturel, la discussion ne doit jamais commencer par les questions d'argent, mais elle doit porter sur le contenu, sa valeur, sa portée, ses perspectives. Créer un film, une série, c'est un projet collectif. Il a un coût. Mais l'argent ne peut en être ni le but, ni l'objectif.
Q: Comment apprendre le métier d'écrivain ou d'auteur ?
R : Je peux vous rassurer, on peut devenir un bon auteur sans qu'il soit nécessaire de passer le concours de l'ENA. Ce n'est pas une question d'école, mais une affaire de perception, de sensibilité, de maîtrise du langage, et cela peut s'acquérir. Les écoles de formation ont certainement leur valeur, et je ne cherche pas à critiquer. Simplement, pour écrire, je crois que la meilleure école c'est tout simplement la vie. C'est la vie qui vous enseigne ce que vous devez savoir. Il est utile aussi de rencontrer des auteurs, d'avoir un maître qui vous tend la perche et qui vous propulse à un moment donné. Pour ce qui concerne l'écriture radiophonique, mes maîtres sont d'une part Jean-Pierre Chabrol, c'est lui qui m'a mis le pied à l'étrier sur France Inter et qui m'a montré les techniques de base et d'autre part le grand scénariste allemand, Herbert Reinecker, le dialoguiste et concepteur de la célèbre série "Derrick". C'était un auteur inouï, un grand maître.
Si à cela vous ajoutez quelques bons livres — je parle des incontournables comme Don Quichotte, la Face cachée du Cerveau, Noli me Tangere, le Mahabharata — alors on est armé pour tenter quelque chose. Mais croyez-moi, on peut tout aussi bien devenir boulanger, plombier, garagiste, jardinier. Ce sont de grands métiers, l'essentiel, c'est de les faire bien.
Q: Quel conseil donneriez-vous à un auteur débutant ?
De n'avoir aucune complaisance envers ses propres écrits.
D'être impitoyable avec ses propres textes.
De savoir jeter et de prévoir une grande corbeille.
De découvrir les meilleurs feuilletons écrits par d'autres auteurs : je recommande la série télé Derrick, très remarquable du point de vue de l'écriture, de la sociologie et de l'inspiration.
De n'avoir pas peur de la métaphysique.
De ne pas s'adonner aux modes mais de développer une oeuvre personnelle, un projet pour soi.
De ne pas trop écouter les conseils des "experts" qui savent toujours tout sur tout et surtout quand ils n'ont jamais rien fait par eux-même.
De découvrir les lois qui régissent la réalité : lire à ce sujet les Pièces de Racine et La Face cachée du Cerveau, de Dominique Aubier.