Grand Sud. Ou l’exigence du Temps poétique
Le poème, concentré de signifiants, est l’expression d’une pensée offerte en style symbolique. Il se compose d’images, de métaphores, mises en rythmes au service d’une écriture devant énoncer une perception, une première compréhension de la vie, du réel et ses mystères. C’est la définition de la Poésie que me donnait Léopold Sédar Senghor, ajoutant : et pourtant, le Poème n’est point aboutissement, tout au plus une étape vers la révélation.
Quels poètes, s’interrogeait-il, ont jamais tracé la limite à laquelle se heurtait leur propre art ?
Le poète, en effet, ne peut franchir la frontière au delà de laquelle son langage, quittant la métaphore, deviendrait explication. Il est circonscrit à son territoire. Mais le Temps, lui, ne saurait s’arrêter : dès lors, l’esprit resterait-il engoncé dans les perceptions imagées ? Le Temps requiert, au contraire, qu’étape après étape, l’Histoire le conduise à l’accession d’un entendement clair. Que le Révélé sorte du Caché. Que l’explication des choses enfin survienne, afin que le langage lui-même se libère des entraves du symbole ! Tel était le vœu du grand poète africain quand il me fit l’honneur d’être mon tout premier Lecteur : qu’enfin surgisse un langage sans énigmes ni figures, fait de mots intelligibles dont la métaphore s’expurge, en adéquation avec la pression du Temps. Il faut en conséquence que le poème, en tant qu’expression d’une étape de la pensée, meure et cède la place à l’élucidation. Quitte, plus tard, à renaître de ses cendres…
Des années plus tard, je découvris un ouvrage extraordinaire : La Face cachée du Cerveau, de Dominique Aubier. Ce livre conceptualise, en un langage accordé au savoir objectif, les symbolismes que défendent les traditions du monde. Il met au jour le Code cortical, révélant la puissance qu’il a d’être le Code des archétypes du réel. Il permet le décodage des symboles —de tous les symboles, les rendant à leur motif d’universalité. Une œuvre civilisatrice qu’un Poète ne peut ignorer.
Dès lors, c’est en toute lucidité de ces travaux que j’ai conçu ce triptyque, menant mon écriture poétique au seuil de sa propre révélation, tout en sachant bien, citant la Bhagavad Gita, que le sens surgira… d’un lieu meilleur que le mien. En cela, je rejoins pleinement le poète allemand Christian Morgenstern pour qui la poésie est le lieu de l’attente et de la modestie. Une étape de restauration où la pensée se prépare au grand festin de l’Esprit. Cette trilogie voudrait que naisse une poésie sertie en toute conscience dans le nacre de son lieu cérébral où la métaphore s’élève, — sans toutefois transgresser l’espace qui lui est imparti —, jusqu’à une maximalisation d’un potentiel de sens. Le poème, ici, chante les confins de son royaume, sa limite et son propre sacrifice.
Grand Sud ! est un triptyque dont le déroulé restitue le cycle d’une parole s’offrant à elle-même la perception de son existence, de son éclosion à sa pleine floraison. Elle naît, avec Profil Humain. S’offre dans L’Éclat Du Carmel. S’immole et s’efface dans Grand Sud !, car telle est l’exigence du Temps. Telle est la mission poétique : Vivre, éclore, se donner et… disparaître à temps, car…
de l’Autre côté, éternel dans sa splendeur,
L’Alphabet se dresse,
Royaume de clarté où règnent,
Solitaires et majuscules, les Lettres.
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