Le héros est un chef d’orchestre dont le talent est annihilé par la vie factice de New-York. Il accepte une mission qui le mène au Vénézuela. Se séparant de son épouse, il emmène sa maîtresse qui ne supporte pas longtemps l’aventure : le musicien, à peine débarqué remonte l’Orénoque à bord d’une pirogue... Commence une aventure fabuleuse d’où s’élèvent, comme d’une symphonie, les grands thèmes de l’Apocalypse, la Forêt, l’Eau, la Révolution. Le narrateur tombe amoureux d’une Indienne, rencontre d’étranges personnages sortis droit d’une chronique médiévale : chercheurs d’or, prêtres fous, fondateurs de villes... Nous voici soudain transposés à l’aube de l’humanité! Au cœur de la Forêt, une radio crachouille l’Ode à la joie, message de paix, alors qu’au même instant, l’Europe sombre dans la seconde guerre mondiale. Fuyant l’Occident en décomposition, le musicien découvre enfin, en pleine Amazonie, au bout d’un long labyrinthe, un village, un foyer, le charme de la vie naturelle. Il retrouve la joie d’aimer et de créer.
Un avion parti à sa recherche se pose dans la forêt, l’enlève, et le ramène brutalement à la vacuité spirituelle qui engloutit la civilisation.
L’Occident déicide n’offre-t-il nul espoir à l’humanité? Est-ce dans l’exil que réside la réponse à la quête d’absolu? Le labyrinthe présente enfin son issue, et Le Partage des Eaux confirme la leçon positive :”Souviens-toi de l’instant où tu es sorti d’Égypte, tous les jours de ta vie”. Pour Carpentier, écrivain initié, tout message verbal prend corps et devient réalité. Dès lors, il convie le lecteur à devenir, à son tour, un “passeur” responsable, attentif au guidage menant à la sortie de l’Épreuve.
Analyse structurelle et systémique
Cette adaptation radiophonique a été conçue à partir des critères initiatiques dégagés dans l’ouvrage de référence La Face cachée du Cerveau, par Dominique Aubier.
Présence des archétypes:
1.La dualité :
New-York/la forêt
le monde occidental/le monde du fleuve
Beethoven/la musique indienne
Ruth/Mouche
Mouche/Rosario
2.Le redoublement :
Tous les événements se répètent, deux fois. Chaque acte subit deux instances à l’intérieur du cycle. Chaque événement est annoncé, par un présage, un signe, avant de se réaliser. Le passage du signe à sa matérialité se construit selon un processus en trois niveaux d’organisation.
3.Les Niveaux d’organisation:
1—l’énoncé : tout événement est tout d’abord énoncé: la puissance du Verbe créateur préside à la matérialité.
2—la réalisation symbolique : après l’énoncé, apparaît une première étape de la matérialité sous sa forme symbolique, où le symbole apparaît comme le langage du réel et de la vie. Il n’est pas un voile couvrant les choses, mais une première diction de la chose même, exprimant son sens par la forme, l’image, le mot dont l’esprit peut tenter d’élucider la promesse. Ainsi, formes et images, allégories et analogies restent toujours à décoder quand elles alertent notre conscience. L’opération mentale de décodage s’impose chaque fois que se présentent signe et symbole.
3—la matérialité : le message verbal, transformé en symbole, prend corps et devient réalité. L’œuvre de Carpentier repose sur cette compréhension alchimique du Réel.
4.La Fuite et le Labyrinthe
Fuite du lieu de l’oppression, fuite vers le lieu “en face” de la survie.
Passage dans l’épreuve du Labyrinthe.
Pièges, dangers;
Guidage par les signes;
Sortie du Labyrinthe.
L’adaptation radiophonique
L’adaptation radiophonique a voulu considérer l’œuvre comme une unité cohérente, comme un système dont il a fallu tout d’abord découvrir puis restituer la logique.
Les trois premiers épisodes contiennent les éléments informatifs qui conditionnent la suite de l’aventure. La présence de certains personnages y est évoquée, restituée par des voix en écho, en surimpression, comme s’il s’agissait de la voix du destin : c’est l’appel du futur. Ainsi, ce n’est pas le passé qui pousse le narrateur vers la grande forêt, c’est l’avenir qui le tire. L’aventure commence par la situation chaotique : New-York. Fuyant malgré lui le lieu de l’oppression, le narrateur se dirige vers la traversée d’un tunnel. Passage et plongée vers le primordial, il retrouve sa langue maternelle. Puissant retour des images d’enfance, retour aux sources nous obligeant à nous avancer dans le labyrinthe. Le labyrinthe n’est pas seulement un mythe relevant de la curiosité ethnologique, mais bien une réalité individuelle, épreuve à vivre par tout un chacun.
L’épreuve initiatique se déroule selon des tempi où la mort n’est pas exclue. A chaque lieu de passage, le danger guette : coup de feu, flèche, maladie, ruine physique… Le guidage efficace par les «gardiens» que sont Maria del Carmen et Rosario sauve le narrateur du naufrage.
Dans son ouvrage La Face cachée du Cerveau, Dominique Aubier explique que dans un cortex, la compréhension issue d’un signal verbal est supérieure en vitesse à l’analyse procédant d’une image visuelle. L’image sonore, relevant de l’univers direct du Verbe, habite et hante la pensée, là où l’image visuelle interpose l’interprétation des formes. Pariant sur ce phénomène de vitesse, le «film» sonore fonctionne sur la rapidité des mouvements narratifs et les changements de points de vue.
Les êtres ici ne sont pas limités aux frontières de leur corps : le narrateur active le souvenir de son amie d’enfance. Aussitôt cet appel engendre existence. Présence réelle, elle n’est pas le fruit de son imagination : elle est entière, vivante à ses côtés. Tout comme les signes, présages, symboles toujours annonciateurs d’événements futurs. Apparaît la notion fondamentale, propre à l’univers de Carpentier, de la présence des «décrets», expression du destin tendant à déterminer les êtres. Ces «décrets» sont des êtres ou immanences, des « alliés » au sens des amérindiens (cf. Carlos Castaneda) qu’il a fallu considérer en partenaires de dialogue à part entière.
Eléments bibliographiques :
Los Pasos Perdidos, —Mexico, 1953, distribucion ibero américana de publicaciones
—La Habana, Union Nacional de Escritores, 1969
—Editions Cathedra, letras hispanicas, établie par Roberto Gonzàlez Echevarria, Madrid 1983.
— Paris 1956, éditions Gallimard, traduction de M. L-F Durand.
Brevissima relacion de la destruccion de las Indias, Bartholomé de las Casas,
Les Commentaires Royaux, Bartholomé de las Casas,
Officia nova hebdomadae sanctae, éditions Desclée 1956;
Dictionario de la lengua Tupi-Guarani, C. Andrade, San José dos Campos, Brésil 1987;
Poèmes Tupi-Guarani, prof. Jackeline Amantino de Andrade, San José dos Campos, Brésil 1988.
Documents sonores
Musique du Haut-Xingu 1976 Acora Radio-France n° C 58 0022 HM 80;
Brésil Archives internationales de musique populaire Musée d’ethnographie CH 1205 Genève, disque AIMP XLIII;