Dieu et le Roi
 
Dieu et le Roi. Telle était la devise de Hernan Cortes.
Ces deux mots galvanisèrent les troupes du Conquistador qui, avec 400 hommes, 16 cheveaux et quelques chiens, réussit à conquérir le Mexique, l'offrit à son souverain Charles Quint qui le nomma en 1522, gouverneur général de cette "Nouvelle-Espagne". Il est vrai que Cortes ajoutait une suite à sa devise : "Or, gloire et Evangile". Trois mots dont l'ordre est évocateur… Ainsi, cette épopée a pour couleurs dominantes le jaune du métal précieux et le rouge du sang des hommes…
 
Le feuilleton radiophonique de cette aventure a été écrit par Dominique Blumenstihl à la suite d'un séjour en Espagne chez l'écrivain Dominique Aubier, spécialiste de Don Quichotte et traductrice de la célèbre chronique de Bernal Diaz del Castillo. Dominique Aubier a en effet étudié de près la langue Nahuatl des Indiens, et procédant à une étude comparative avec le Castillan, a émis la thèse selon laquelle l'élément principal de la victoire espagnole —400 hommes contre toute une civilisation— est liée essentiellement à la vitesse décisionnaire de la langue hispanique, face à la langue des Aztèques engluée dans une imagerie trouble et lourde ralentissant les processus réflexifs. Du Yucatan jusqu'à Mexico, nous suivons le parcours des Espagnols, fraîchement débarqués de l'ile de Cuba... Jour après jour, la jungle se referme sur eux…
 
I.La Découverte de l’Amérique
 
3 août 1492, trois caravelles quittent Palos de Moguer. Pour l’avenir du monde, ce jour d’été andalous ressemble à celui où, pour la première fois, un satellite lancé de la terre s’accroche à son orbite.
12 octobre 1492, Juan Rodriguez Bermejo crie « Terre, terre ! » Americo Vespuce, Florentin, fait le voyage avec Alonso de Ojeda en 1499. Une lettre qu’il écrit fait sa gloire : il a le bonheur d’y parler du « Nouveau Monde », contrairement à Colomb qui lui, se croyait aux Indes. Cette lettre est traduite, éditée. Martin Waldseemuller, professeur de géographie à Saint-Dié écrit : « Une quatrième partie du monde, comme on le verra bientôt, a été découverte par Americo Vespuce, je ne vois donc pas de raison qui empêcherait de l’appeler Amerige ou America, c’est à dire terre d’Americo, conformément au nom du grand et sagace découvreur… » Ainsi, on considère comme « découvreur », comme inventeur du Nouveau Monde non celui qui en rêva, non celui qui y mit les pieds, mais bien celui qui dit le nouveau : une vue de l’esprit dépossède Colomb de sa découverte. La science reçoit, à la même époque, la majestueuse confirmation de ce qu’elle avançait : la terre est bien ronde, et avec la découverte de l’Amérique, une véritable étape de l’histoire humaine se termine. Une autre étape commence avec les conquistadores : ce n’est pas seulement la terre qui s’ouvre, c’est l’Occident qui passe.
 
II. Hernan Cortes
 
Cortes n'est pas le monstre sanguinaire que l'on imagine. Il n'est pas même un grand guerrier. Juriste de formation, il est avant tout un habile stratège, doublé d'un extraordinaire psychologue manipulant aussi bien ses propres hommes que ss ennemis dont ils comprend d'emblée toutes les faiblesses. Mais son œuvre, qui fut de "conquérir" le Mexique et de le donner à l’Espagne, c’est à dire à l’Occident, nous est-elle lisible en dehors de l’impression qu’elle nous fait, près de cinq siècles et demi plus tard, alors que le Mexique est devenu un grand pays moderne, chrétien, de langue espagnole, rêvant d’un passé aboli ?
Cortes pénétrait le premier dans ces terres : quatre cent hommes, seize chevaux, quelques chiens, des armes… mais des milliers d’hommes qui avaient aussi leurs armes l’encerclaient. Pourquoi Cortes remporte-t-il cette victoire inexplicable ? Quelle force lui permet objectivement de se saisir ainsi d’une civilisation qui vit sur sa terre et qui eut normalement dû trouver sur place toutes les raisons de se sauver ?
Quatre cent hommes, seize chevaux… Ces chiffres stupéfient mais n’expliquent rien. On a coutume de louer le talent diplomatique de Cortes qui sut se glisser entre les tribus et utiliser leur mésententes, créer des alliances… Mais ceci suppose que l’on accepte son débarquement et son installation dans le pays comme déjà commencés… L’intelligence de Cortes fut une arme de la Conquête. Cet homme analyse la situation dès le départ, adapte son action à ce qu’il sait voir. Un pays inconnu, une langue ignorée. Comment user d’intelligence, de diplomatie quand les communications sont impossibles ? Le premier coup de génie de Cortes ne fut pas, comme on le conte volontiers, de saborder sa flotte pour retenir ses hommes et leur rendre nécessaire chaque jour la victoire. Il y eut un épisode presque anodin de la conquête où l’intelligence de Cortes se montre à la hauteur de la situation qu’il trouve et évalue. Il devine que des Espagnols sont déjà parmi les Indiens. « Castillan, Castillan » disaient les Indiens, au cours d’une bataille. Cortes en déduit aussitôt que des Espagnols se sont déjà égarés parmi les Indiens. Il les veut avec lui et les fait rechercher. Il sait ce que signifient deux hommes dans le camp opposée, utilisables par l’ennemi. Deux hommes au courant des habitudes espagnoles, deux imaginations, inclinées à comprendre, à prévoir l’action que lui, Cortes désire ou peut mener.
De ces deux hommes, il n’en retrouvera d'abord qu’un seul. L’autre, intégré à la culture indienne, a justement dirigé la bataille contre les premiers Espagnols débarqués. Cet Aguilar, dont Bernal Diaz nous conte l’aventure, qu’une tempête avait rejeté sur la rive indienne, après sept années parmi les Indiens, ne savait plus parler l’Espagnol. Il devint l’interprète de Cortes. L’intelligence de Cortes consiste à avoir pressenti d’abord sa présence chez les Indiens, alors que toutes les circonstances disposaient l’esprit à douter d’une telle possibilité.
Aguilar est le premier homme à s’être assimilé non seulement la langue indienne aux dépens de son castillan maternel, mais à s’être incorporé ce quelque chose d’impondérable qui structure les psychologies... Si les Espagnols ont la chance d’avoir récupéré dans leur camp un tel homme, les Indiens, eux, ne le possèdent pas. Grâce à la présence d'Aguilar, redevenu Espagnol, Cortès connaitra, bien avant de rencontrer la célèbre Dona Marina à qui les Aztèques reprocheront d'avoir fait le jeu des Espagnols, tous les usages, rites et habitudes des indiens. Désormais, tout les trahit, même l’air qu’ils respirent.
Les travaux des phonologues démontrent que la manière de parler est liée à l’impédance de l’air. Un homme est lié à l’air par deux fonctions essentielles : respirer, parler. Il s’accorde à la vibration fondamentale de l’air et lui répond par la voix, le corps. Notre voix est, par son timbre, sa structure phonétique, la réponse à la qualité déterminante de l’air qui nous entoure. Aussi, l’accent américain n’est pas le résultat des frottements entre différentes langues étrangères, mais l’imprégnation même des langues émigrées à la formule magique de l’air mexicain. Quand les Espagnols arrivent en Amérique, ils parlent l’Espagnol de Castille ou d’Extremadure, ces hommes avancent trop vite pour subir le changement profond qui détermine, par l’accoutumance et la soumission au milieu ambiant, cette altération de l’oreille qui modifie la voix et la manière de parler. Mais Aguilar a eu le temps de s’adapter. Il a vécu sept ans parmi les Indiens. Il s’est accommodé à la langue indienne et a perdu l’accommodation au registre espagnol. Aguilar, grâce à cette adaptation profonde de son être, possédait plus qu’une langue inconnue et nécessaire : il s’était assimilé la manière d’être indienne. Hernan Cortes a su employer cet homme, il en fit l’instrument de sa diplomatie. Dona Marina devait en devenir le mythe.
 
III. Deux langues en présence
 
Deux langues vont se faire une guerre sans merci. Elles ne possèdent pas la même distribution harmonique, pas la même vitesse, pas la même perméabilité aux choses étrangères, ni la même adhérence au réel.
Le Castillan est bref, bisyllabique, direct. Il ne s’embarrasse pas du discours. Il a le don de percer la vérité, il colle au réel. Il procède par coups de sonde, il possède l’éclair et la foudre : la décision et l’action lui conviennent. Ses structures grammaticales et logiques correspondent à une sorte de réalisme naturiste, d’une extrême efficacité.
Le nuhuatl, langue des Aztèques, fonctionnait avec des diphtongues, utilisait un vocabulaire riche en syllabes lourdes et aigres où la longueur du mot semble décrire tout un système mental. « Les mots lancent de longs circuits de sens passionnels qui se réfèrent à des symboles religieux eux-mêmes en métamorphose. Des grappes d’images adhèrent à des mots très simples, les situent dans une mythologie compliquée. »
L’appartenance du vocabulaire à la vision légendaire et sacrée n’autorise pas la liberté, ni le regard direct et concret sur les choses. Le monde, pour un Mexicain, est d’abord une apparence légendaire. Sacrée, elle aussi, la langue n’a aucun pouvoir dialectique, elle n’a pas la puissance d’absorption, de dissolution que présente le Castillan du 16° siècle, langue pour l’époque extrêmement rationalisée. Ainsi les deux idiomes s’affrontaient, mais ne se répondaient pas. Quand les Espagnols demandent en désignant un village : « Quel est ce village », et que les Indiens, inquiets, désireux de comprendre, disent à voix haute : « Qu’est ce qu’ils disent ? », les Espagnols acceptent le son de « Qu’est ce qu’il disent » pour e nom du village. Les Espagnols ne cherchent pas à comprendre, mais à nommer. Les Indiens hésitent. On les imagine aisément englués dans leur surprise et leur interrogation, persévérant dans leurs questions, perdant leur temps… Une analyse de tous ces minuscules événements, assez peu relevés par les chroniqueurs, mais que Bernal Diaz relate, permettrait de dénombrer maintes indications favorables au diagnostic : d’une manière générale, les Indiens sont en retard du « temps de la réflexion ». Il leur en faut trop pour comprendre.
 
IV  La rencontre de deux mondes
 
Les Espagnols : ils arrivent. Ils ont l’avantage de l’attaque et de l’action. Les Conquistadores, chassés d’Espagne par ce que nous appellerions chômage, poussés à la conquête par l’habitude de la reconquête, poursuivant le Maure en tous lieux, eussent tout aussi bien remis la terre entière aux rois catholiques. Dans l’aisance avec laquelle ils affrontent les Indiens, il entre un peu de l’accoutumance à l’ennemi étranger, à l’ennemi religieux. Du Maure à l’Indiens, la différence pour un Chrétien d’Espagne du Moyen-Âge n’est pas si grande. Et de plus, la notion de “pays”, dans cette Espagne provincialiste, où l’unité se fait par le mariage de Castille et d’Aragon, est bien fragile. Où commence l’Espagne, où finit-elle ? Pour l’homme d’Extremadure qui ne connaît que son village, l’Amérique continue l’Andalousie, l’Océan à traverser n’est qu’une frontière à passer… Tout dispose les conquistadores à voyager. Ils sont comme vaccinés contre les surprises primordiales qui gêneront tant les Mexicains. Pas de trouble, pas de fausse manœuvre. La sécurité d’âme devient un sérieux renfort pour les combattants. Cortes s’emploie à réduire les motifs de divergence. Le sabordage de la flotte, les discours, son autorité alignent les hommes, empêchent toute perspective de retour. Ils ne pourront aller que de l’avant, préparer leur survie, et ne marchent-ils pas pour « Dieu et le Roi : Or, gloire et Évangile ? »
Ce sont des « secundones » qui font la conquête, les fils cadets que le droit d’aînesse prive de la terre patriarcale. Rien à perdre, tout à gagner. Exilés par la jalousie contre l’aîné, ils partent vers l’inconnu se tailler une Espagne pour eux. D’ailleurs, ne l’appellent-ils pas « Nouvelle-Espagne », ce pays qui va leur servir de patrie, de propriété, de métier, de vengeance ?
Quant à la gloire, l’idée qu’il s’en font a de curieuses racines. La chevalerie, avec son idéal désuet les inspire. Les conquistadores sont nourris de ces contes invraisemblables qui passent pour véritables, ils ne s’en étonnent pas. Bernal Diaz appartient à ces esprits qui ont cru à l’incroyable. Les chimériques lectures leur ont dressé l’imagination à d’impossibles prouesses. La fable héroïque la plus fabuleuse les entraîne quotidiennement à l’héroïsme sans mesure. Rien ne sera trop fort pour ces hommes crédules, victimes de la mauvaise littérature contre laquelle Don Quichotte lèvera l’épée.
 
 
 

 
— l'Histoire de la Conquête du Mexique ;
— Le point de vue des Conquistadors ;
— Le point de vue des Aztèques ;
— l'épopée de Cortès ;
— le trésor de Montezuma ;
— l'or des Aztèques
— la civilisation Aztèque ;
— la mythologie mexicaine des Aztèques
— le choc des cultures
— le revers de la Conquête
— l'héritage de la civilisation Aztèque…
La Conquête du Mexique
 
La Conquista de Mexico
 
"L'Histoire Véridique de la Conquête de la Nouvelle-Espagne"
Historia verdadera de la Conquista de la Nueva España
 
Feuilleton radiophonique en 15 épisodes de 20 mn,
de Dominique Blumenstihl, sur une traduction de Dominique Aubier
d'après la chronique du conquistador Bernal Diaz del Castillo
et les lettres de Hernan Cortès.
Réalisation : Jacques Taroni, prix Radio Italia
Production : Radio-France, France-Culture
Enregistrements : studios de Radio-France, Paris
Ecouter un extrait de la série
La série intégrale est disponible gratuitement pour les chercheurs à l'INA
l'INATHEQUE de l'Institut National de l'Audio-Visuel notice  n° 00339448.