Une série radiophonique, dégagée de toute influence politique et libre de toute inféodation partisane.
Charles VII
Qui était ce souverain ? Pas la moindre idée ! Feuilletant l'ouvrage — édition de luxe sur papier glacé — je plongeais au cœur du XVème siècle… Ah, c'est donc lui, ce fameux roi que la Pucelle reconnut sans l'avoir jamais rencontré lorsqu'elle se présenta à Chinon… Sacré Charles VII, me dis-je, que je ne parvenais pas même à situer historiquement ! Rédigé dans un style avenant, tenant à la fois de l'essai et du roman, ce livre a l'avantage de recréer une ambiance réaliste : juriste émérite, l'auteur a conçu sa plaidoirie réhabilitant le génie d'un souverain méconnu dont la France n'a peut-être pas assez considéré la longue et patiente œuvre : il ne s'agissait pas moins de créer une nation à partir… de rien.
Arrivé au chapitre consacré à Jeanne d'Arc, je m'aperçus qu'en dehors des deux ou trois poncifs dont le fameux "brûlée vive à Rouen", je ne savais rien d'elle. Ce XVème siècle me paraissait tellement inaccessible, hors du temps — de notre temps ! Qu'avais-je, en homme du XXIème, à m'interroger sur les élucubrations mystiques d'une bergère parvenant à convaincre Robert de Baudricourt, capitaine de Vaucouleurs, de l'amener à Chinon rencontrer le roi de France, l'intégrer à l'armée, prendre Orléans, avant d'infliger une déconfiture générale à l'armée anglaise à Patay — rien que cela !
Lussan, fort heureusement, éclaircit le contexte politique : la France, en ce temps, avait deux rois. L'un, Henri VI, roi d'Angleterre et de France ; l'autre, Charles VII, fils de Charles VI devenu fou… Ce pauvre Charles VII qui dut fuir Paris, se réfugier à Bourges sous la pression de l'Angleterre dont le pouvoir était aux mains du régent Bedford, habile stratège qui fit alliance avec le duc de Bourgogne… Désormais en exil sur les rives de la Loire, le « roi de Bourges », Charles VII, n'exerçait son autorité que sur une infime partie du territoire et envisageait de s'exiler en Espagne, tant la situation était désespérée. Nul ne résistait aux archers anglais, ni à la stratégie déployée par Bedford qui plaçait astucieusement ses pions en des points stratégiques, dont Orléans. La ville était sous le siège et menaçait de tomber : si ce dernier bastion fidèle à Charles VII devait céder, tout le Sud de la France passerait sous contrôle anglais dont l'étau se refermerait à partir de la Guyenne.
Libérer Orléans… Conduire le roi à Reims, le faire sacré souverain. Prendre Paris, Chasser l'occupant… Tout cela sous la conduite d'une femme? C'est précisément cela qui m'a séduit : que l'héroïne fut une femme ! Elle n'avait que 20 ans, l'âge des grandes révélations, des sublimes amours.
Je dévorais plusieurs ouvrages sur le sujet. La bibliographie sur Jehanne est abondante. Et comme un fait exprès — un signe ! — le jour où je pris la décision que mon prochain feuilleton radiophonique serait consacré à la Pucelle, la maison de la presse de Damville, village normand où je réside, exposait plusieurs revues d'histoire qui toutes vouaient un numéro spécial à notre héroïne. Dans la même boutique, j'achetais l'ouvrage de l'historien Olivier Bouzy, Jehanne, l'histoire à l'endroit (éditions CLD 2008) qui m'apprit qu'il existait plusieurs centaines de livres parus sur elle, que diverses thèses s'affrontaient, pour les uns elle était une sainte, pour les autres une illuminée relevant de la psychiatrie. Autre débat qui soulève une polémique : certains auteurs et des plus sérieux voient en elle la demi-sœur du roi, d'autres affirment qu'elle n'aurait point été tuée, qu'elle aurait survécu, se serait échappée pour se marier et aurait fondé une famille… Qu'en penser ? Ajouter mon opinion à cette cacophonie? Finalement, le document le plus sûr, le mieux établi, était tout simplement ce texte d'archives appelé les Minutes du Procès, rédigé par les greffiers Manchon, Boisguillaume et Taquel qui ont personnellement assisté au procès de Jehanne. Une belle édition, traduite en français par le Révérent Père H. Leclercq en 1906, offre une généreuse ouverture sur le dossier. Ici se donne le relevé fidèle des procédures et séances qui s'étendent tout au long des 178 jours qu'auront duré les procès en condamnation.
Ouvrant ce compte rendu, j'eus la gorge serrée. La violence faite à cette femme par les sbires de l'Inquisition, l'ignominie de l'Evêque Cauchon, la haine personnelle qu'il voue à son accusée, la mauvaise foi si apparente, et cette lâche soumission des assesseurs… L'appareil judiciaire tout entier s'incurvait selon le désir politique, lui-même animé par un vaste réseau d'intérêts.
Le procès politique
Cauchon, le biennommé, ne fut pas le seul à diriger les débats : il y eut Jean Lemaître, le vice-inquisiteur ; Jean d'Estivet, surnommé le Bénédicté tant il se croyait en odeur de sainteté ; Beaupère, l'interrogateur. Autant de croyants sincères, convaincus que cette femme, selon eux engeance maléfique et fille de Belzébuth, méritait le bûcher pour le salut de son âme. Comment rester indifférent au caractère spécieux des accusations qui conduisirent l'adolescente à son supplice ? Au feu croisé des questions, les unes plus insidieuses que les autres par leurs implications sournoises, Jehanne répond avec courage et clairvoyance. Oui, elle a entendu ses voix. Oui, elle continue, dans sa cellule, à communiquer avec ses interlocutrices invisibles, pour elle si réelles. Non, elle ne peut dissocier l'Eglise militante de l'Eglise triomphante, car là est Dieu, les saints, les anges et les âmes sauvées.
Procès politique, c'est une évidence, car la guerre de succession au trône de France est une plaie depuis près d'un siècle. Ce qui est en cause? La gouvernance du pays, bien sûr, mais surtout le projet même de la France. La France en tant que Nation doit-elle se soumettre à la couronne d'Angleterre où se donner à celle du petit roi Charles VII ? Du point de vue strict des appétences du pouvoir, un souverain vaut bien l'autre… mais Dieu est de la partie : Dieu, affirme la Pucelle, lui a parlé et l'a mandatée afin qu'elle apporte son soutien au prince désigné par la Providence. Désormais, la royauté, alliée à la puissance divine, agit en conformité avec le vouloir céleste, Jehanne quant à elle, est l'intercesseur messager de cette Parole.
La métaphysique
Dans l'histoire de Jehanne d'Arc, la métaphysique tend ses pièges à tout instant. C'est donc avec un regard dessillé qu'il faut aborder les documents, en se méfiant des œillères que nous impose notre formation intellectuelle rationaliste préfabriquée. Plonger dans le passé, lire un texte ancien, sans surimposer à l'histoire la vision conditionnée de notre actualité et de nos croyances actuelles : combien l'approche linéariste pèche-t-elle par son dogmatisme ! C'est pourquoi, après avoir lu plusieurs ouvrages de spécialistes, j'ai opté pour l'approche sensible : j'ai laissé vivre Jehanne en moi… Et page après page, je l'ai sentie respirer, comme une âme-sœur qui me signifiait sa parole. Et puis, il y eut ce déclic étrange lorsque je parvins, dans ma lecture des Minutes du procès, à la date du samedi 24 février 1431, 10ème séance du procès. L'insupportable Jean Beaupère, toujours en quête d'une faveur de son supérieur, interroge. Savez-vous si vous êtes en la grâce de Dieu ? Jehanne de répondre : Si je n’y suis, qu'Il m’y mette; et si j’y suis, qu'il m’y tienne !
Le greffier Boisguillaume notera que l'assemblée des assesseurs demeura stupéfaite de cette sublime réponse émanant d'une illettrée. Ainsi, affrontant seule un collège composé d'une soixantaine de juges, tous théologiens émérites, docteurs du droit canon, latinistes érudits passant pour l'élite intellectuelle de l'époque, elle tient tête. Seule, sans avocat, sans conseil, si ce n'est celui de ses fidèles voix.
La voici éteinte depuis près de 6 siècles, mais le temps paraît aboli tant son message reste pressant. Ce qui m'a frappé, c'est le lien irrévocable unissant le destin personnel de cette femme à celui de la France. La vocation spirituelle du pays est en jeu : Cauchon ne s'y est pas trompé, non plus que le Régent Bedford désirant expédier au plus vite l'exécution. La question relative à la nature de la Pucelle faillit faire chanceler la procédure. Est-elle une créature du diable ayant couronné un imposteur ? Ou est-elle réellement mandatée par Dieu pour doter la nation de sa mission, combattre pour Dieu ? Pour les représentants de l'autorité anglaise, il fallait saper le débat avant qu'il ne tourne à la controverse spirituelle dont l'issue eut été moins certaines si le dossier avait été communiqué au Pape comme elle l'avait demandé…