Les "minutes" du procès de Johanne sont officiellement l'œuvre des greffiers, mais le gouvernement anglais et l'évêque s'en étaient réservés le contrôle. Il y avait en effet aux séances deux ou trois secrétaires anglais cachés derrière un rideau qui, sous la direction de Loyseleur, le pseudo confesseur de la Pucelle, écrivaient ce qu'ils voulaient. Après chaque séance, se tenait chez l'évêque une réunion des greffiers officiels, de quelques théologiens et des secrétaires anglais occultes. Là, les notes de chacun étaient lues, et celles des greffiers officiels contrôlées à l'aide des notes prises par les autres. Le 21 février 1431, après le premier interrogatoire, éclata un grave incident : on voulut contraindre Manchon et Boisguillaume à supprimer leurs notes, et à prendre pour type celles des secrétaires anglais. Les greffiers manifestèrent l'intention de se démettre. Les différences entre les textes amenèrent de violentes disputes…
Curieusement, après l'exécution, l'évêque Cauchon a lui-même pris les précautions nécessaires pour immortaliser la gloire de sa victime. Les greffiers reçurent en effet l'ordre de dresser cinq copies des jugements. L'un était pour le Roi d'Angleterre, un autre pour l'évêque, un autre pour l'inquisiteur. Un quatrième fut envoyé à Rome, avec les lettres des universitaires. Quant au cinquième, il est resté aux mains du greffier qui, un quart de siècle plus tard, remit le document aux juges de la révision.
La réhabilitation - le second procès
Calixte III, élu Pape le 8 avril 1455, accueille le 11 juin de la même année la requête de la mère de Jeanne et de ses deux frères : il adresse un rescrit à l'archevêque de Reims, à l'évêque de Paris et de Coutances et les désigne pour réviser le procès, en s'adjoignant un inquisiteur.
Le 7 novembre, les prélats, secondés par l'inquisiteur Jean Bréhal, siégent à Notre-Dame de Paris. Isabelle, la mère de Jeanne, accompagnée de son fils Pierre et d'un nombreux cortège d'ecclésiastiques dépose sa requête. Ils l'engagent à prendre conseil et à y réfléchir. Comme elle persiste, ils s'ajournent au 17 novembre. Ce jour-là, la vieille mère se présente à nouveau devant la même assemblée : Pierre Maugier, son avocat, prend la parole et aborde le fond de la question pour défendre Jehanne sur tous les points où on l'avait condamnée. Sa plaidoirie est puissante qui pénètre la double dimension politique et religieuse de l'appareil judiciaire.
« Ses visions : Dieu seul en connaît l'origine, et nul sur la terre n'a le pouvoir d'en juger; le signe du roi : allégorie permise et justifiée par l'exemple de Moïse devant Pharaon; l'habit d'homme : justement défendu quand il procède du libertinage, mais bien légitime quand il protége la pudeur; la soumission à l'Église : l'Église la réclame pour le dogme, laissant, quant au reste, une entière liberté. Elle a demandé d'être renvoyée au Pape, elle a accepté le jugement du concile général, acceptation que l'évêque de Beauvais a défendu d'inscrire au procès-verbal. » L'avocat rappelle l'altération des interrogatoires dans les douze articles ; la formule d'abjuration lue dans le tumulte, sans qu'elle ait pu l'entendre, et que l'évêque, malgré l'avis des assesseurs, ne lui a pas relue. « C'est donc à tort qu'on l'a déclarée relapse : et la preuve, c'est qu'avant de la faire mourir on lui a donné la communion. » Aussi le juriste demande non seulement l'annulation de la sentence, mais toutes les réparations. Il appelle l'attention des juges sur les instruments et les actes du procès incriminé ; sur ses préliminaires ; le procès lui-même.
1° Dans les instruments : l'interposition de faux greffiers; les douze articles soumis aux consultants pour tenir lieu du procès entier ; les additions ou les omissions des procès-verbaux…
2° Dans les préliminaires : la partialité de l'évêque de Beauvais, qui s'entremet pour que Jeanne soit vendue aux Anglais ; qui la laisse dans leur prison, quoique remise à l'Église ; qui fait mener investigation sur sa vie antérieure, constater sa virginité, et qui supprime les résultats de ces deux enquêtes comme étant favorables : procédés illégaux et dont il a senti l'illégalité lui-même en se faisant donner des lettres de garantie le prémunissant des effets de son jugement…
3° Dans le procès même : « la demande d'un tribunal composé de clercs des deux partis mise à l'écart ; la récusation de l'évêque de Coutances; le vice-inquisiteur appelé seulement le 19 février, et ne venant que par l'effet des menaces ; l'interrogatoire transféré dans la prison devant un petit nombre d'assesseurs ; les douze articles extraits des soixante-dix entachés d'omissions ou d'additions frauduleuses ; les menaces faites ; les faux conseillers ; les manœuvres employées pour lui faire reprendre l'habit d'homme après une abjuration obtenue par la séduction et la contrainte ; enfin sa condamnation comme relapse sans cause légitime et,quand elle a été livrée au bras séculier, son exécution sans jugement.»
Qu'est-ce donc que ce procès qui a pu aboutir à une pareille sentence ? Un acte de violence et de fraude ; un tissu de mensonges et de faux.
« Un quart de siècle plus tard, les juges du procès de réhabilitation prononcèrent d'abord que les douze articles, base de la sentence rendue, étaient faux, altérés et calomnieux. De là ils déclarèrent le procès en condamnation et les sentences entachés de dol et de calomnie, et par conséquent nuls et de nul effet. Sentence immédiatement publiée à Rouen en deux endroits : sur la place de Saint-Ouen, à la suite d'une procession avec sermon solennel, et le lendemain au Vieux-Marché, au lieu où Jeanne avait été brûlée. Publiée également dans plusieurs autres villes, notamment à Orléans, où l'évêque de Coutances et l'inquisiteur Jean Bréhal vinrent présider aux cérémonies ordonnées. Mais mieux que les cérémonies, les statues et les stèles consacrées sa gloire, c'est bien la réhabilitation elle-même, les témoignages authentiques recueillis et fixés à jamais par l'Histoire qui lui rendent le plus bel hommage… »